Figure majeure du cinéma indépendant Américain, Shirley Clarke laisse derrière elle une filmographie riche de ses engagements dans une société américaine en plein bouleversement. Signataire du manifeste pour le New American Cinema et co-fondatrice de la Film-Makers’ Cooperative à New-York avec Jonas Mekas, Shirley Clarke compte parmi les acteurs les plus actifs dans la défense d’un cinéma libéré du modèle de production Hollywoodien. Danseuse de formation, c’est en 1953 que la cinéaste réalise ses premières expérimentations avec une série de films courts inspirés des chorégraphies pour caméra de Maya Deren. Bien que la danse constitue un élément central dans son œuvre, c’est en travaillant à la croisée du documentaire et de la fiction qu’elle obtient une reconnaissance internationale. Avec » The Connection » (1961), « The Cool World » (1963) et « Portrait of Jason » (1967), Shirley Clarke développe un cinéma en prise directe avec la réalité sociale de son pays pour dresser le portrait de ses marges : musiciens de Jazz, drogués, afro-américains ou encore prostitués.
Après une longue période d’expérimentations vidéo, la cinéaste signe avec « Ornette: Made in America » (1985) son retour au long-métrage et renoue avec son intérêt toujours avéré pour le Jazz.
Biographie: Née en 1919, Shirley Clarke s’est éteinte le 23 septembre 1997 à New York, la ville qui l’aura vu naître et travailler. Fille d’un riche entrepreneur d’origine juive-polonaise et d’une mère issue de la grande bourgeoisie newyorkaise, Shirley Brimberg Clarke se passionne très tôt pour la danse moderne et envisage durant de nombreuses années une carrière de danseuse professionnelle. Contre l’avis de son père, elle suit, tout au long de sa scolarité en cachette divers cours de danses au cours desquels elle se familiarise avec les styles avant-gardistes dominants de l’époque, particulièrement celui de Martha Graham.
Elle s’émancipe du cadre familial en épousant Bert Clarke, un lithographe, en 1944 avec lequel elle aura deux ans plus tard sa fille Wendy. Encouragée par son mari, Shirley Clarke intègre divers groupes de danseurs et se produit à de nombreuses reprises. Elle abandonne ses espoirs de devenir un jour danseuse au tournant des années cinquante, moment où elle commence à réaliser ses premiers films à l’aide d’une caméra Bolex 16mm reçue en cadeau de mariage. Elle s’impose très rapidement dans le genre du film de danse en entretenant un lien avoué avec les travaux pionniers de Maya Deren. Elle obtient son premier succès avec « Bridges-Go-Round » en 1958, film avec lequel elle s’affirme comme une figure montante du cinéma d’avant-garde américain.
Contactée par le célèbre documentariste Willard Van Dyke, avec lequel elle co-réalise Skyscraper en 1959, Shirley Clarke s’expérimente à la pratique du film documentaire et multiplie les collaborations avec les auteurs les plus représentatifs de la nouvelle génération : D.A. Pennebaker, Albert Maysles ou encore Richard Leacock (« Brussels Loops » , 1957 ; « Opening in Moscow », 1959). Elle intègre la scène du cinéma indépendant newyorkais sous l’égide de Jonas Mekas et co-signe en 1960 le manifeste pour le New American Cinema. Très engagée dans la promotion d’un cinéma libéré des contraintes de l’industrie hollywoodienne, elle crée avec Mekas la New York Film-makers’ Coop, première coopérative de distribution dédiée à cette production.
C’est en adaptant une pièce de théâtre à succès de Broadway qu’elle signe en 1961 son premier long-métrage, « The Connection ». Ce film, qui constitue à ce jour un des plus grand succès du cinéma indépendant américain, fit l’ouverture de la semaine de la critique à Cannes et permit à Shirley Clarke d’obtenir une visibilité internationale. Censuré à New York, « The Connection » posait un regard inédit pour l’époque sur les marginaux en réunissant, le temps d’un huis-clos brechtien, musiciens de jazz, afro-américains et toxicomanes. Son attention à l’égard des minorités trouve une nouvelle configuration, dans « The Cool World » , premier film réalisé intégralement dans le ghetto noir d’Harlem en 1964 avec des acteurs non-professionnels et l’indispensable apport de son nouveau mari, Carl Lee, acteur afro-américain déjà présent dans « The Connection ». Avec ce film la cinéaste brouille encore plus le rapport entre fiction et documentaire, une méthode qui aboutira pleinement avec « Portrait of Jason » tourné une nuit de décembre 1966 dans une chambre du mythique Chelsea Hotel à New York. Le protagoniste du film, Jason Holliday, un prostitué noir et gay, acteur génial mais sans carrière s’engage, seul face à la camera, dans un long monologue autobiographique. « Portrait of Jason » demeure à ce jour le film le plus personnel et le plus radical de Shirley Clarke.
Avec l’arrivée de la vidéo dans les années soixante-dix et la frénésie créative qui entoure ce nouveau médium, Shirley Clarke abandonne sa camera 16mm pour se consacrer à l’expérimentation vidéo au sein du collectif Teepee Videospace Troupe. Influencée par le travail de Nam Jun Paik, elle produit des installations – « Video Totem » – axées essentiellement sur un caractère de simultanéité. Son dernier long-métrage, « Ornette: Made in America » , réalisé en 1985, puise sa singularité dans l’hybridation de la vidéo et du cinéma. Shirley Clarke reprend à travers ce portrait du musicien de jazz Ornette Coleman la majorité des thèmes de son œuvre et témoigne de son inépuisable volonté d’échapper aux formes figées.
(Source:https://www.centrepompidou.fr)